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Spectacle Mémoire(s), jeudi 10 avril 14h : Le cirque comme langage vivant des mémoires populaires

Par fabien roca, publié le mardi 8 avril 2025 07:00 - Mis à jour le jeudi 10 avril 2025 07:04
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Quand il s’est agi de penser Mémoires du Vernet, projet mêlant récolte de récits intimes et mise en partage artistique à l’échelle d’un quartier, le cirque s’est imposé comme une évidence. Non pas le cirque de vitrine, figé dans une arène de velours rouge, mais le cirque vivant, populaire, itinérant – celui qui, depuis ses origines, prend la rue, plante son chapiteau au bord des routes, rassemble petits et grands autour de numéros aussi spectaculaires qu’intimistes.

Un chapiteau au cœur du quartier

L’idée initiale : installer un chapiteau au cœur du Vernet, dans la cour du lycée, comme une présence sensible, presque onirique, visible depuis les fenêtres, les balcons, les trottoirs. Un espace à la fois dedans et dehors, où l’on pénètre pour écouter, mais que l’on voit vivre de l’extérieur. Faute de budget, le chapiteau n’a pas vu le jour. Mais cette contrainte a ouvert la voie à une autre forme de cirque : aérien, poétique, à ciel ouvert. Le trapèze volant, suspendu dans le vide, est alors devenu le point d’orgue du projet 2025, comme un appel à regarder vers le haut, à se reconnecter à l’élan.

Une histoire populaire, une forme qui parle à tous

Le cirque, dans son essence, est un art des marges et du peuple. Né au XVIIIe siècle en Angleterre avec Philip Astley, il s’est très vite diffusé dans toute l’Europe, s’installant aux portes des villes, mêlant exploits physiques, prouesses animales et théâtre comique et c’est ce que nous tentons de transmettre : un art hybride, une forme immédiate, inclusive, qui éveille la curiosité, même de ceux qui ne vont jamais au théâtre.

Cirque et mémoires : la matière sensible

Dans Mémoires du Vernet, chaque discipline circassienne est pensée comme une métaphore sensible des récits récoltés.

Le trapèze volant de la Cie Les Mains blanches ouvre le bal. Suspendu entre ciel et terre, il convoque l’audace de celles et ceux qui osent se lancer dans le vide, portés par la seule confiance du lien. Il est souvenir en apesanteur, mémoire lancée à travers l’espace, oscillant entre deux temps, deux corps, deux mondes. 

Le fil de fer de la Cie Vitalamine, tendu comme une cicatrice d’argent, trace la ligne fragile où se joue l’équilibre des récits retravaillés par l’Atelier des Collecteurs. Sur ce fil, chaque pas de Thibault Mullot pèse de tout son poids d’humanité : l’intime vacille, le collectif affleure. Ce n’est pas une marche, c’est une traversée – entre le silence et la parole, entre l’effacement et la mémoire partagée.

Telle une horloge sans aiguilles, la roue Cyr de Pierre Bertrand tourne inlassablement. Spirale des jours, elle est la forme mouvante du passé, ce mouvement circulaire qui ne revient jamais au même point, mais toujours à une version légèrement déplacée de soi.

La jonglerie est un chant à plusieurs voix, une tentative de garder vivantes les choses qu’on ne peut porter toutes à la fois. Elle met en l’air les paroles entremêlées, les secrets lancés haut pour ne pas sombrer. Dans cette danse fragile, les objets deviennent fragments de vie, les silences deviennent rythme, et la main devient mémoire.

Puis le ballet clownesque des chevaux-marionnettes de Thibault Mullot.et Frédérique Guérin. Figures mi-réelles, mi-fabriquées, ces montures de carton et de tissu de la Cie Vitalamine galopent dans l’imaginaire, portées par les bras et les rêves de ceux qui les animent. Leur passage soulève la poussière du temps, fait résonner les sabots du souvenir. 

Enfin, il y a la crieuse publique, Ninon De Graff de la Cie En Compagnie imaginaire, accompagnée du GORI, Grand Orchestre Rayonnant d’Improvisation.
Celle qui porte dans sa gorge les murmures du quartier, qui crie non pour effrayer, mais pour éveiller. Elle est le haut-parleur de l’invisible, la passeuse de paroles confiées, la mémoire chantée des pas perdus, des colères tues, des rires enfouis. Elle sème dans les rues des éclats de vérités. 

Un art poreux, ancré dans le réel

Loin d’un simple divertissement, le cirque choisi ici est un art poreux, qui s’écrit au contact du sol, des visages, des rues. Il permet l’interaction directe avec les lycéens, au détour d’un numéro improvisé, d’une répétition visible, d’un atelier de transmission. Il crée du lien, du visible et de l’inattendu, là où le quotidien semble figé.

Faire apparaître la magie dans l’ordinaire

Le cirque, c’est aussi la magie sans tricherie. Il fait surgir la beauté dans l’ordinaire, le sublime dans le béton, l’exploit dans les gestes simples. C’est cette magie-là que nous cherchons à faire apparaître : la beauté des mémoires, même les plus fragiles, l’héroïsme discret des habitants du Vernet.

Bon spectacle ! 

Lise Raivard