L'Histoire du Vernet

Épisode 7 : Le Vernet et la guerre - Une mémoire blessée

Par fabien roca, publié le vendredi 4 avril 2025 07:00 - Mis à jour le lundi 7 avril 2025 10:21
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Le Vernet, quartier du nord de Perpignan, est un territoire de seuils. Il garde dans ses rues, ses stades, ses façades et ses noms une mémoire faite de luttes, d’exils et de résistances. 

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Deux stades pour deux héros

Dans la mémoire collective de Perpignan, deux noms résonnent avec une intensité particulière : Aimé Giral et Gilbert Brutus. Tous deux furent des figures du rugby, tous deux ont donné leur vie pour la France, tous deux ont vu leur nom gravé dans les stades du quartier.

Aimé Giral, jeune capitaine de l’USAP, tomba en 1915 sur le front de la Somme, à l’âge de vingt ans. Le stade Aimé-Giral, construit dans l’entre-deux-guerres, perpétue le souvenir de cette jeunesse fauchée par la Grande Guerre, où sport et engagement patriotique se mêlaient encore intimement.

Gilbert Brutus, président du club de rugby à XIII, entra dans la clandestinité pendant la Seconde Guerre mondiale. Membre actif de la Résistance, il fut arrêté, torturé, puis exécuté par la Gestapo en 1944. Le stade Gilbert-Brutus, aujourd’hui antre des Dragons Catalans, garde la mémoire de cet homme de courage et de conviction.

La Retirada : l’exil aux portes de la ville

En janvier 1939, alors que la guerre civile espagnole s’achève, un demi-million de républicains traversent les Pyrénées dans un exode massif La Retirada. Beaucoup sont accueillis dans des camps précaires à Argelès-sur-Mer ou Saint-Cyprien. Mais Perpignan, carrefour logistique et politique, devient aussi une terre d’accueil improvisée.

Dans le quartier du Vernet, plusieurs familles espagnoles s’installent, parfois dans des logements de fortune ou des maisons laissées vacantes. Ces familles, souvent issues de milieux ouvriers ou militants anarcho-syndicalistes, participent à l’essor d’un Vernet populaire, politisé, solidaire, qui conserve encore aujourd’hui les traces de cette mémoire républicaine.

Un quartier de Résistance

Durant l’Occupation allemande, le Vernet devient aussi un lieu d’ombre et de courage. Certains bâtiments servent de caches pour les résistants, d'autres abritent des imprimeries clandestines ou des réunions secrètes. Les archives évoquent la présence active de réseaux résistants dans la zone nord de la ville. Sur l’avenue Julien Panchot, les murs portent encore, pour qui sait les lire, les stigmates d’une époque de lutte et de peur.

Un mémorial discret, niché au cœur d’un petit espace public, rappelle la mémoire des résistants tombés dans l’anonymat. Dans les écoles du quartier, des enseignants perpétuent ce souvenir à travers des projets pédagogiques et des collectes de témoignages.

1962 : Rapatriés d’Algérie et nouveaux exils

En 1962, la fin de la guerre d’Algérie provoque un nouvel afflux de population : Pieds-Noirs, Juifs séfarades, Harkis et autres rapatriés s’installent en nombre à Perpignan. On estime que près de 25 000 personnes arrivent dans une ville qui comptait à peine 80 000 habitants. Le Vernet, en pleine expansion, devient l’un des points d’ancrage de cette migration.

Les souvenirs de l’Algérie perdue viennent alors s’ajouter aux couches d’exils précédents. Dans les immeubles neufs ou les maisons mitoyennes, se croisent les récits de Constantine, d’Oran, de Tlemcen, ceux de Barcelone, de Saragosse ou de Valence. Une mosaïque d’exilés fait du Vernet un lieu unique en son genre.

Aujourd’hui : entre mémoire et accueil

Le passé ne s’éteint pas au Vernet, il continue de s’écrire. Le quartier accueille encore aujourd’hui des demandeurs d’asile venus de pays en guerre : Syrie, Afghanistan, Ukraine, Soudan… Des structures comme le dispositif ACAL (Accueil pour la demande d’asile en Languedoc) permettent à ces familles d’être logées temporairement.

Ainsi, le Vernet reste fidèle à lui-même : un lieu de passage et d’ancrage, de douleurs portées et de recommencements. Il incarne, à l’échelle d’un quartier, l’histoire contemporaine des migrations, des résistances et de l’hospitalité.

Source : Lise Raivard